Bleus et Diables dans le stade le plus cher de l’histoire et le plus controversé du Mondial
La Krestovsky Arena est un véritable bijou, mais elle a coûté de l’argent et des vies. Beaucoup de vies.
- Publié le 09-07-2018 à 19h25
- Mis à jour le 10-07-2018 à 14h50
La Krestovsky Arena est un véritable bijou, mais elle a coûté de l’argent et des vies. Beaucoup de vies.
Avec une capacité de 64.468 places durant ce Mondial, le stade du Zénit Saint-Pétersbourg est le deuxième plus grand de la compétition, derrière le stade Loujniki (78.011 places), qui accueillera la finale, ce dimanche. Mais ce petit bijou de technologie est aussi et surtout l’enceinte la plus décriée de cette Coupe du monde. Son coût, tant en euros qu’en nombre de vies, est difficilement chiffrable.
Olga Ryabova travaille pour une agence de voyage dans le cadre de ce Mondial: "Ce qui a le plus fait parler en Russie, c’est la corruption. Des ouvriers morts pendant les travaux ? Ca ne me dit rien", explique-t-elle. "Ce dont je me souviens, c’est du scandale que cela a fait quand on a appris que tout le budget avait été dépensé avant même la moitié des travaux. Mais on est comme ça en Russie, on veut toujours sauver la face. Et tant pis si cela doit être fait avec l’argent du contribuable". Car c’est bien là le problème: suite à plusieurs scandales de corruption, Gazprom est sorti du projet, laissant le soin à la ville de Saint-Pétersbourg de payer l’intégralité de la facture.
Si ce "vaisseau spatial" ultra-moderne de 75 mètres de haut, au toit modulable et au terrain rétractable (afin de ne pas l’abîmer lors des concerts, par exemple) est aujourd’hui la plus belle enceinte du tournoi russe, elle est donc haïe par les Pétersbourgeois. Combien l’ont-ils payée, exactement ? Le montant varie du simple au double, selon les sources. Ce qui est sûr, c’est que le budget initial se situait entre 100 et 160 millions d’euros, avant l’attribution de la Coupe du monde à la Russie. Au final, l’écrin aurait coûté entre 800 millions et 1,5 milliards d’euros. Tout dépend si l’on tient compte, ou non, des chantiers annexes tels que la nouvelle station de métro qui emmène les supporters du Zénit au plus près du stade tout au long de l’année. A ce propos, ils ne sont en moyenne "que" 44.000 à s’être déplacés lors des matches à domicile durant le championnat russe. Ce qui laisse 32% des sièges vides en dehors d’un Mondial qui n’aura duré que sept matches.
Des vies sacrifiées
Håvard Melnæs est journaliste pour le magazine norvégien Josima. Interpellé par l’annonce de la mort d'un ouvrier Nord-Coréen sur le chantier en novembre 2016, il a mené l'enquête pendant cinq mois. Selon lui, plus de cent Nord-Coréens ont participé aux travaux de la Krestovsky Arena. Un esclavage moderne qui n’a rien à envier à celui pratiqué dans les stades du Mondial 2022, au Qatar.
En mars dernier, il expliquait à nos confrères de So Foot les liens étroits entre la Russie et la Corée du Nord depuis les années 1950. "On estime que les Nord-coréens sont 75.000 en Russie. À cause des sanctions internationales qu’elle subit, la Corée du Nord a besoin d’argent pour financer son programme nucléaire. Ces travailleurs détachés sont donc une ressource vitale", expliquait le journaliste. En prélevant 90% de leur salaire, le régime récolterait environ 1,7 milliard d’euros par an, selon un rapport des Nations unies. Les travailleurs, eux, trouvent un salaire plus intéressant que dans leur pays, au prix de conditions de vie extrêmes puisque selon Håvard Melnæs ils sont entassés dans des containers, comme celui où est décédé cet ouvrier en 2016.
L'ONG internationale Human Rights Watch (HRW) avait dénoncé des "abus d'exploitation" en juin 2017. "Les travailleurs interrogés par Human Rights Watch ont invariablement dit qu'ils avaient peur de parler de ces abus, craignant des représailles de leurs employeurs". Quant à l'Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois, elle précise que 17 ouvriers sont décédés sur les chantiers des stades de cette Coupe du monde… Un prix bien plus élevé que la corruption.